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    Causerie

    Le féminisme est à l'ordre du jour. En France comme à l'étranger, dans le nouveau comme dans l'ancien monde, la plus belle moitié du genre humain s'agite et demande à grands cris son émancipation qui doit la rendre, elle y compte du moins, l'égale du sexe fort, ou du sexe laid, comme on voudra. Ici elle réclame ses droits politiques et l’accession à diverses fonctions publiques qui lui sont obstinément fermées ; ailleurs elle se ligue pour faire prévaloir certaines modifications de costume ; partout enfin elle élève la voix pour faire entendre à l'homme que le règne de son oppression séculaire a trop duré et qu'il est grand temps de proclamer l'égalité des sexes.

    Dans l'hospitalière Ecosse toutefois les choses ne sont point si avancées, s'il faut en croire les échos d'Outre-Manche, et les femmes s'y bornent à demander l'application à leur profit d'une prérogative basée au rebours des autres sur la faiblesse de leur conformation naturelle.

    Cette prérogative n'est autre que le droit au siège, c'est-à-dire la faculté pour les demoiselles des grands magasins de s'asseoir quand elles sont inoccupées. Il y a beau temps que la galanterie française a proclamé en faveur de la femme la légitimité de ce droit hygiénique à peu près généralement reconnu, mais il n'en va pas de même, parait-il, au pays d’Ecosse.

    La Chambre des communes, à la vérité, avait récemment voté une loi dans ce sens ; mais cette loi a dû être soumise à la Chambre des lords, et c'est là que les choses se sent gâtées, par suite de l'opposition formelle du premier ministre, le marquis de Salisbury.

    Le noble lord, en effet, s'est levé et il a déclaré que cette loi lui paraissait détestable. Certes, il n'a pas prétendu que les femmes employées clans le commerce et l'industrie ne devaient jamais s'asseoir dans les magasins ou les usines; mais tout en assurant les Ecossaises de sa sympathie, il a déclaré qu'il fallait s'en rapporter pour régler la question aux instincts de l'humanité, et il s'est nettement prononcé pour le rejet de la loi en disant qu'il était parfaitement inutile de favoriser les seules vendeuses. Et la Chambre haute, se conformant à la manière de voir de M. le Premier, a tout simplement repoussé la loi.

    Dire l'indignation des Ecossaises en apprenant les résultats du vote serait inutile ; contentons-nous d'ajouter que M. de Salisbury vient de se mettre à dos tout un peuple en jupons ; en se levant pour combattre la loi, il a perdu une bien belle occasion de rester assis.

    Nous parlions tout à l'heure d'une autre revendication féminine et qui est relative a une importante modification du costume. C'est encore dans la Grande-Bretagne que cette question vient d'être soulevée, à la suite du refus imputable à un hôtelier d'héberger une femme cycliste en culotte. Une ligue pour l'adoption du costume rationnel s'est aussitôt formée, et un journal a é té créé pour soutenir les intérêts de cette ligue.

    Le costume rationnel, à ce qu'il paraît, c'est la culotte bouffante, comme nous en voyons tous les jours entre les roues des bicyclettes. Mais ce n'est pas seulement pour pédaler avec plus de commodité que la ligue demande la suppression de la jupe et son remplacement par le costume « bifurqué » ; c'est pour la vie courante, pour la promenade à pied tout aussi bien qu'à bicyclette, les robes présentant, au dire des ligueuses, un réel danger pour les femmes qui circulent dans les rues, où les jupes risquent à tout instant d'être harponnées par les voitures.

    Il y a eu, comme on pense, plus d'une objection adressée à la Ligue au sujet du port des hauts-de-chausses bifurqués, et ces réserves ont surtout porté sur le fâcheux effet qui en pourrait résulter pour les admirations masculines. L'organe de la Ligue prétend que les femmes sauront s'en passer au besoin ; mais il a beau prétendre, il ne sera pas suivi.

    La mode est capricieuse, et si extravagante qu'elle soit parfois l'homme s’incline en souriant devant ses arrêts, parce qu'il sait qu'au fond elle est uniquement inspirée par le désir impérieux de plaire, qui est dans la nature féminine.

    La parure est une arme...

    comme a dit Musset ; adopter le vêtement proposé par la Ligue, remplacer la robe par le pantalon de zouave équivaudrait pour la femme à abandonner cette arme dont elle excelle à se servir et qui la rend irrésistible. Le goût de la parure ajoute singulièrement à sa beauté séductrice ; la femme le sait trop bien pour qu'aucune ligue, si puissante soit-elle, la fasse consentir à un pareil abandon d'elle-même. Aussi n'avons- nous aucune crainte à ce sujet, car nous savons fort bien que le jour où, nous empruntant nos tristes vêtements, les femmes renonceraient à l'apanage de leur sexe, elles renonceraient à plaire. Cela ne sera pas, car cela ne peut pas être.

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